Un congrès national fort en émotions et attentes
Du 3 au 5 juin, Beaune, en Côte-d'Or, a accueilli les congressistes de la FNCuma. Venus de toute la France, ils ont réaffirmé leur attachement à un modèle économique agricole qui place le collectif et la solidarité au premier rang. La FNCuma aura aussi vu, pour la première fois, une agricultrice élue à sa présidence.

Un anniversaire, une première en matière de gouvernance et des inquiétudes liées au contexte budgétaire : le congrès de la Fédération nationale des Cuma (FNCuma), du 3 au 5 juin à Beaune, en Côte-d'Or aura été riche en thématiques. Il fut d'abord l'occasion de célébrer un modèle d'organisations agricoles forgé dans les souffrances de la Seconde guerre mondiale : né en 1945 de la volonté du ministre de l'Agriculture d'alors, Tanguy Prigent, les Coopératives d'utilisation de matériel agricole (Cuma) ont puisé leurs racines dans une volonté collective et solidaire, inspirée, notamment, des grands axes sociaux définis par le Conseil national de la résistance (CNR). 80 ans après, le témoignage d'un « cumiste » normand rappelant que, dans les années 60, le premier outil mutualisé par sa Cuma était une tronçonneuse pour laquelle chacun des adhérents était prié d'utiliser sa propre chaîne, en dit long sur le chemin parcouru par ces structures et sur les défis auxquels elles devaient répondre dans une France d'après-guerre ruinée et qu'il fallait nourrir.
Une présidente, pour la première fois
Le témoignage d'Esteban Rives, lycéen de 16 ans de l'Aude, fils, petits-fils et arrière-petit-fils d'agriculteur, fut un autre moment fort de ce congrès. Sans vouloir lui même devenir agriculteur, il a rendu un hommage extrêmement touchant à son arrière-grand-père, Etienne Rives, résistant et l'un des fondateurs des Cuma. Dans la famille Rives, les valeurs de collectif et de solidarité ont traversé les générations et ce qu'en a rappelé le jeune Estéban lui aura valu des applaudissements d'une salle remplie et debout. Ce 80è anniversaire fut aussi marqué par une première : la FNCuma a désormais une présidente à sa tête, en la personne de Marine Boyer. A 36 ans, la jeune femme est éleveuse de vaches allaitantes dans un Gaec de l'Aveyron. Elle est le nouveau visage d'une fédération qui n'est pas tout à fait sereine, quant à la pérennité des valeurs dont elle est porteuse, mais aussi en lien avec le climat de restriction budgétaire qui met à mal le peu de dispositifs d'aide dont les Cuma bénéficiaient jusqu'alors de la part de l'Etat, à commencer par le Dispositif national d'accompagnement des projets et des initiatives (Dina). Dans une intervention vidéo en conclusion du congrès, la ministre de l'Agriculture, Annie Genevard, a confirmé cette réduction du Dina (dont le budget se monte à 800 000 euros). Une rencontre entre la ministre et la FNCuma est prévue pour le 7 juillet avec l'espoir de sauver ce qui peut l'être sur un dispositif très utile pour ces coopératives. « Il s'agit de l'unique politique publique dédiée aux Cuma ! » insistait Marine Boyer en tribune.
Des axes structurants pour l'avenir
Le discours de clôture de la nouvelle présidente a également pris acte, avec satisfaction, de l'adoption par l'Etat d'un système de volontariat rural pour les 18-30 ans. « Trois fédérations de Cuma ont expérimenté le principe de nouveau service civique agricole, expliquait Marie Boyer, il nous faudra désormais le déployer à l'échelle nationale. » Ce futur service civique était d'ailleurs un des axes structurants que la nouvelle présidente s'est fixée en ce début de mandature, en lien avec la question du travail et des compétences nécessaires : « Le travail est pour nous un axe politique central : les Cuma vont devoir s'adapter à la montée en puissance de la délégation des travaux en agriculture. » Marine Boyer se fixe trois autres caps :
-repenser le réseau et la fédération des Cuma
-soutenir la liberté d'entreprendre en Cuma
-agir et militer en faveur d'une mécanisation responsable et durable. « Il faut aller, soulignait-elle, vers une stratégie plus globale de la machine. Un des enjeux est fiscal, un autre est climatique mais c'est aussi la raison pour laquelle l'Etat ne devrait pas toucher au Dina qui est un moyen pour nous d'innover. » Au-delà de ces axes de travail pour lesquels la présidente donnait d'ors et déjà rendez-vous dans trois ans, pour le prochain congrès national, afin d'évaluer les avancées, Marine Boyer insistait sur la nécessité de « rendre désirable le faire-ensemble. Nos racines historiques doivent nous servir de boussoles sans jamais oublier que nous sommes l'un des derniers lieux de convivialité agricole, dans un contexte où l'engagement pour le collectif a tendance à se raréfier... »
Berty Robert

La solidarité agricole en débat
Le congrès de la FNCuma a pris fin sur une table-ronde dont le thème était « La solidarité agricole : valeur essentielle ou concept en sursis ? » Pour nourrir le débat, le sociologue, professeur des universités à l'Agro Toulouse et chercheur au Cevipof, François Purseigle auteur de l'ouvrage Une agriculture sans agriculteurs rappelait un fait : « avoir des agriculteurs à l'échelle d'un territoire, ça ne va pas de soi. Les Cuma doivent prendre en compte un contexte en profond changement. Il n'y a jamais eu aussi peu d'agriculteurs. De plus, nous constatons un éclatement et une montée en diversité des structures d'exploitation, ce qui complique la constitution de collectifs. » A ses yeux, les organisations professionnelles doivent être repensées en regard d'une réalité sociologique : il y a de plus en plus de pluriactifs en agriculture, qui entrent parfois tardivement dans la profession. « C'est en prenant en considération ces changements, poursuivait François Purseigle, que les Cuma vont pouvoir se réinventer. Il faut qu'elles profitent du fait que la question agricole revient sur la table avec une force sans précédent. Il y a un enjeu des collectifs au niveau des territoires. » Autour de cette question du caractère actuel de la solidarité agricole, le député de Meurthe-et-Moselle Dominique Potier, auteur d'une proposition de loi sur l'agriculture de groupe pointait que « l'accaparement des terres est un appauvrissement social et économique alors qu'il faut installer des jeunes. Quand on est en Cuma, le rapport avec le voisin n'est pas le même, l'autre n'est plus un étranger. » Pour Marine Boyer, la nouvelle présidente de la FNCuma, « une Cuma ce n'est pas que du partage de matériel, c'est aussi aller sur des pratiques innovantes, c'est des rencontres et du partage de vie. Elle crée une dynamique territoriale. » Géraldine Marichal, éleveuse de volailles en Seine-et-Marne, regrettait, pour sa part, l'absence de Cuma sur le territoire où elle opère : « je trouve dommage de se priver d'un tel outil et je fais le constat qu'avec le départ des anciens, une atmosphère solidaire et conviviale se délite. » Pour faire vivre cette solidarité agricole, ajoutait François Purseigle, « les Cuma doivent se faire reconnaître politiquement comme un levier d'adaptation de l'agriculture. » Finalement, le mot de la fin, c'est une personne du public qui l'a eu pour résumer au mieux la nécessité de faire perdurer ce modèle agricole : « Quand on s'entraide, on ne se mange pas ! »
